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Ce que nous dirons d'elle provient, pour l'essentiel, de ses souvenirs
et de sa correspondance, recueillis principalement par Louise Zeuz (1)
de documents d'archives.
Merci à Jean Mayer pour ce dessin original. |
C'est le 31 mai 1839 que naquit, au 76 de la Grande-rue (2) à
Colmar, Marie-Antoinette Lix. Elle était la cadette de cinq enfants,
deux garçons et trois filles, dont deux: sa sœur Françoise
et son frère Antoine vivaient encore lorsqu'elle vint au monde.
Son père François Antoine Lix, originaire de Dambach-la-Ville,
était aubergiste, sa mère née Françoise Schmitt,
était native de Bergheim.
ENFANCE ET JEUNESSE
Elle avait atteint depuis moins d'un mois l'âge de cinq ans lorsque sa mère mourut. Son père, malgré ses quarante six ans, était encore tout imprégné des pratiques de son service militaire, accompli dans la cavalerie; reconnaissant dans cette dernière enfant des qualités de virilité, un caractère énergique et des aptitudes qu'il ne trouvait sans doute pas chez son fils alors âgé de onze ans, il décida de lui donner la seule formation dont il était capable: «... Je lui apprendrai l’exercice, je la rendrai de première force à l’escrime, je lui enseignerai ma méthode pour se tenir solidement à cheval. Avec tous ces talents, je veux bien que le diable m'emporte si la petite ne fait pas son chemin dans le monde ! Je l'ai bien fait, moi! » (3).
Cette façon d'élever un enfant et, qui plus est, une fille, devait lui attirer des remarques puis des conseils, enfin de sévères remontrances de la part de son entourage. Pressé, il consentit à se séparer de Tony pour la faire admettre à l'Institution des Sœurs de la Divine Providence à Ribeauvillé.
Ce ne fut pas chose facile à cette fillette, alors âgée d'environ onze ans, de changer du jour au lendemain d'existence, d'abandonner le costume masculin qu'elle avait, toujours ou presque, porté pour revêtir robe et accessoires propres à son sexe; ce ne fut pas non plus chose facile a cette enfant, indépendante et volontaire, de se plier aux règles strictes de la pension, à en accepter la discipline, à en suivre assidûment l'enseignement, à se soumettre aux devoirs religieux.
Cependant la force de volonté, qui était et devait rester
le trait dominant de son caractère, lui permit de surmonter ses
tendances velléitaires, d’accepter les contraintes de sa nouvelle
vie pour obtenir, à dix-sept ans, avec le brevet, sa licence d'institutrice.
EN POLOGNE
Ses études terminées, la Mère Supérieure de l'Institution, la présenta à une noble famille polonaise en quête d'une préceptrice française.
C'est à l'hôtel Lambert, dans l'île Saint-Louis à Paris, résidence de la famille Czartoryski, qu'eut lieu l'entrevue qui devait décider de sa situation. Citons au passage, que cet hôtel avait appartenu à la marquise Emilie du Chatelet, amie de Voltaire, qui marqua, par ses connaissances et sa personnalité, la première moitié du XVIIIe siècle (4).
La présentation dut être satisfaisante, puisqu'elle partit pour la Pologne rejoindre, au château de Sycz, la famille Lubianski où, aux côtés d'une institutrice anglaise et d'une allemande, elle exerça la fonction pour laquelle elle avait été choisie.
Pendant près de sept années elle mena une vie calme dans laquelle, à l'exer-cice de son métier, elle allia la pratique des sports qu'elle aimait et tout particulièrement l'équitation.
Elle jouissait de l'estime de sa famille d'adoption, et de l'amitié
de la comtesse Wanda, mère des enfants qu'elle avait la charge d'enseigner.
L'INSURRECTION POLONAISE DE 1863
Le 22 janvier 1863, des troubles éclatèrent à Varsovie; ils devaient marquer le debut d'un soulèvement qui, pendant près d'un an, secoua la Pologne, avant d'être sévèrement réprimé.
Les institutrices anglaise et allemande avaient demandé à rentrer dans leurs pays. Tony, dont le père était mort en 1859 à la suite d'une chute de cheval, ainsi que sa sœur ainée quelque temps après son mariage, décida de rester au service de la famille qui l'avait adoptée.
Contraint à l'exil, le comte recommanda les siens à Marie-Antoinette,
dont il avait pu apprécier la résolution et le courage. C'est
à ce moment qu'apparaît, pour la première fois dans
ses mémoires, le surnom de Michel et de son diminutif polonais Micha.
Alors qu'elle commençait à brûler dans la cheminée
du bureau du comte des documents qui, à la suite d'une perquisition
aurait pu nuire à sa famille, elle fut interpellée par la
comtesse:
« Micha, Micha, que faites-vous (...), toute la poudre d'Arthur
est cachée dons cette cheminée » (5).
Elle arracha vivement tout ce qui était enflammé, en recommandant à sa maîtresse de fuir avec les enfants.
Un soir, arriva au château, un courrier épuisé dont le cheval s'était abattu, mort, à l'entrée du village; il était porteur d'un message pour le général Boncza (6), ami de la famille Lubianski, qui campait avec quelques trois cents partisans, à quelques lieues de là. La dépêche avait pour objet de l'aver-tir que huit cents Russes se préparaient à les surprendre.
Il fallait, à tout prix, que ce message parvint au général. Tony, ne connaissant pas de serviteur assez sûr pour remplir cette mission, décida de l'accomplir elle-même. Elle sella un cheval et partit au galop pour le campement. Sur sa route elle se heurta à un bivouac ennemi, ne pouvant pas faire demi-tour, dans l'impossibilité de modifier son itinéraire et, enfin, trahie par le hennissement de son cheval, elle lança celui-ci au galop, traversa, à sa grande stupeur, le rassemblement ennemi dont les occupants lui intimèrent l'ordre de s'arrêter; deux coups de pistolet furent tirés dans sa direction, une balle lui frôla la tempe droite, emportant seulement une boucle de ses cheveux blonds.
Elle parvint au camp du général, mais à peine celui-ci avait-il eu le temps de prendre connaissance du message, que le campement se trouva cerné: le combat devenait inévitable. Devant l'hésitation manifestée par ses hommes, le général tenta de les rallier en se lançant à l'attaque, mais il tomba grièvement blessé. Tony, qui avait suivi cette première phase de la lutte, saisit un sabre et interpella vertement les hommes:
« Lâches ! leur criai-je, si vous avez pu laisser massacrer votre chef, ne permettez pas, au moins, que son cadavre témoigne de votre honte en tombant entre les mains de vos ennemis... » (7).
Les soldats ainsi stigmatisés se ruèrent derrière Marie-Antoinette sur l'ennemi, qu'ils mirent en déroute en le pourchassant.
Mourant, le général fit demander "le jeune homme" qui avait été capable d'un tel exploit.
« D'où êtes-vous et comment vous nommez-vous ?
Je suis Français et me nomme Michael, répondis-je en rougissant. Ici le général détacha de son doigt la bague de commandement au cachet sinistre.
- Prenez-là, me dit-il et jurez-moi-de ne pas quitter mes soldats
avant qu'un autre chef, nommé por le Comité, soit venu se
mettre à leur tête...
- Non, je vous le promets, mon général, à une
condition: c'est que vos soldats serviront d'escorte à la comtesse
Lubianska qui se rend en exil ?
- Quoi, la femme d'Arthur ?
- Elle même, général, et c'est pour demander votre
protection pour elle, que j'ai accepté la mission qui m'amène
ici.
- Merci mon enfant, merci pour elle, pour moi. Messieurs, ajouta-t-il,
en se tournant vers les officiers qui, muets et sombres, se tenaient dans
le fond de la tente, vous obéirez à ce jeune homme. C'est
mon dernier ordre, c'est une dernière prière... » (8).
A partir de ce moment, Tony, Michel, Michael, appartint à l'insurrection. A cause du pli soucieux qui marquait son front, par gravité, mais aussi par nécessité de préserver le secret de son sexe, ses hommes ajoutèrent au nom qu'elle s'était donné, le qualificatif de "Le Sombre". Dès cet instant les ordres qu'elle rédigea ou signa, le furent avec ce pseudonyme de Michel le Sombre.
Lancée dans la lutte, elle s'y donna corps et âme, avec toute la fougue toute la passion qui, toujours, dirigèrent et animèrent ses actes.
Comme elle en avait manifesté l'intention, elle conduisit la comtesse et ses enfants vers l'exil, où son mari l'avait précédé.
Un jour, alertée pour porter secours à une colonne en difficulté, elle s'y porta, blessée sérieusement à la jambe droite, elle fut soignée par Mère Alexandra (9), religieuse de 1'ordre des Soeurs Féliciennes, qu'elle avait connue au château.
« Remise de ma blessure, mais boîtant trop pour reprendre du service, j'acceptai une mission pour le Comité Central polonais à Paris; de là, je pars pour Nantes où je fais une confession générale, puis je reviens en Pologne, munie d'un passeport sous le nom de Michel LIX... » (10) (souligné par moi L.H.F.).
Pendant son absence, ses soldats s'étaient divisés et avaient rallié d'autres chefs.
C'est comme simple soldat qu'elle s'enrôla alors, sous les ordres du général Sokol.
« Après le premier engagement avec les Russes, je suis adjointe comme maréchal des logis traducteur à un officier francais, Ivon dit Chabrolles. A la deuxième rencontre, je suis nom-mée sous-lieutenant pour avoir enlevé un drapeau à l'ennemi. .. » (11).
Le détachement auquel elle appartenait, fort de deux cent cinquante hommes est attaqué par six cents Russes. Chabrolles est tué. « C'est à la suite de cette journée que je fus nommée lieutenant des uhlans » (12).
Dans ses mémoires, Marie-Antoinette parle du jeune Charles Mazurkiewicz qu'elle avait connu au cours de son séjour à Paris. Agé de quinze ans, il vint en Pologne se rallier, à l'insu de sa mère, à l'insurrection. Affecté à l'escadron commandé par Michel le Sombre, il participa, à ses côtés, à tous les combats. Mortellement blessé au cours d'une reconnaissance, son lieutenant prit soin de l'ensevelir avant d'être lui-même blessé d'un coup de lance au-dessus du sein gauche. Porté dans une charrette de blessés et conduit à l'ambulance installée dans un couvent, il retrouva Mère Alexandra qui lui prodigua ses soins et l'entoura de la vigilance indispensable à la protection de son secret.
Plusieurs semaines plus tard, au cours d'une patrouille, Michel le Sombre fut capturé par les Russes; il obtint la vie sauve grâce à sa qualité de "Français" "et au passeport" qu"'elle" avait eu la sagesse de faire établir et qui portait l'âge de dix-neuf ans (13).
Expulsée en Prusse, Tony rejoignit la famille Lubianski; elle la suivit à Dresde lorsqu'elle vint s'y établir pour l'hiver. Dans cette ville elle suivit des cours de médecine et obtint le diplôme d'infirmière de la Croix-Rouge, organisation de secours aux blessés, issue de la Convention de Genéve de 1863.
Lasse, éprouvant le besoin de revoir sa terre natale, elle rentra en France en 1865.
Elle trouva à s'employer comme correspondancière en langues étrangères, dans une maison de commerce. Cependant elle avait pris une résolution:
« Quand je revins en France, en 1865, la perte de tous les miens avait fait un vide immense que je résolus de combler en consacrant ma vie à tous ceux de mes compatriotes auxquels je pourrais être utile » ( 14).
Cela ne devait pas tarder.
En 1866, une terrible épidémie de choléra sévit dans le nord de la France; à Lille, atteinte le 15 juillet, elle causa, jusque vers la fin de l'année, 2.215 victimes dont 1.300 ouvriers et ou-vrières des manufactures. C'est dans le quartier Saint-Sauveur, le plus misérable et le plus touché par le fléau que Marie-Antoinette alla, volontairement donner ses soins.
A son retour, affaiblie, malade, elle se rangea aux avis des médecins
qui lui conseillèrent d'observer du repos. C'est aux Trois-Epis
qu'elle se remettra d'une atteinte pulmonaire.
RECEVEUSE DES POSTES
Il lui fallait cependant pourvoir aux besoins de son existence. Au cours d'un séjour parisien elle fit la connaissance de Madame Joséphine Forcade de la Roquette, épouse du ministre de l'Intérieur du Gouvernement de l'époque, qui intercéda auprès de son mari en sa faveur; le 16 mars 1869, un arrêté du Conseiller d'Etat, Directeur Général des Postes la nommait Receveuse du bureau de Lamarche, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Neuf-château.
En marge de ses occupations professionnelles elle s'occupa, développa
et anima les œuvres charitables de cette commune. Un hiver, elle fit preuve
d'un acte de courage admirable et exceptionnel: un de ses facteurs n'était
pas rentré, elle partit, seule, par des chemins enneigés,
à sa recherche.
« intrépide, elle parcourt ainsi, sous la bise qui lui
coupe la figure, les neuf kilomètres à travers bois qui la
séparent du village où le facteur avait du se rendre.
Quand elle y arriva, une seule maison, dans tout le village, I'auberge,
était encore ouverte. Elle entra pour s'y réchauffer, car
elle était à moitié gelée. Elle apprit qu'il
venait de repartir par une ancienne route abandonnée, qu'il croyait
plus courte, pour rentrer chez lui. Elle demanda à louer une voiture!
mais prétextant le mauvais temps, personne ne voulut la conduire.
Bravement, l'admirable femme se remit alors en route par le chemin indiqué
(...). Enfin, moulue, brisée de fatigue, elle aperçut, à
trois heures du matin, les premières maisons de Lamarche. Une silhouette
d'homme, qu'elle reconnut dans l'ombre, penaude, venait à sa rencontre.
Le facteur avait suivi une route parallèle à celle qu'avait
prise la receveuse, et on l'avait retrouvé étendu au bord
de la route, sain et sauf, seulement... un peu gris » (15).
Là, se place également l'événement relaté par Camille Destouches (16) qui prouve, s'il en était besoin encore, l'esprit de dévouement, de décision, l'intrépidité et le prix que Tony payait à l'amitié.
Madame Forcade de la Roquette, séparée de son mari, était
venue vivre à Lamarche au côté de la receveuse. Privée
de ses deux fillettes jumelles, dont son mari avait la garde, elle s'ennuyait
de leur absence.
Marie-Antoinette ayant appris leur présence à l'Institution
des Sœurs de la Divine Providence à Ribeauvillé, décida
secrètement d'aller chercher les enfants et de les ramener à
Lamarche.
Prétextant un déplacement pour le service, elle partit
pour Epinal, puis de là pour Ribeauvillé. Connaissant parfaitement,
et pour cause, les usages de l'Institution, elle s'était souvenue
que le 13 janvier, jour anniversaire du baptême du Christ, on amenait
les pensionnaires se recueillir dans une petite chapelle des environs.
Elle avait minutieusement préparé son expédition en
se procurant des vêtements masculins, en louant une carriole, en
choisissant l'endroit le plus propice à son dessein. Au cours de
la cérémonie, elle s'empara des fillettes, les vêtit
en garçons et les ramena très discrètement à
Lamarche, où elle les confia à l'institution religieuse de
la ville. Un parent de leur mère devait se charger d'arranger l'incident,
en le faisant passer, tout simplement, pour un changement de pensionnat
(17).
LA GUERRE DE 1870 ET LES FRANCS-TIREURS DE LAMARCHE
Comme l'écrit Louise Zeys, sa situation de receveuse des postes
lui a permis de savoir bien des choses:
« Depuis un certain temps elle a perçu des bruits alarmants
mais, sagement, elle les a gardés par devers elle pour ne pas inquiéter
inutilement ses compatriotes » (18).
Elle ne fut donc pas surprise outre mesure par la déclaration de la guerre le 19 juillet 1870.
Dès qu'elle apprit les premiers revers de nos armes, elle jugea qu'il était de son devoir de faire pour sa propre patrie ce qu'elle avait accompli dans un pays étranger. Elle entreprit alors de multiples démarches pour se faire admettre dans l'armée régulière. Toutes demeurèrent vaines et, le 3 septembre 1870, elle s'engagea dans la compagnie des francs-tireurs de Lamarche. Elle y fut accueillie avec enthousiasme et nommée lieutenant à l'unanimité.
Dans les lettres qu'elle écrivit à son amie, elle conte ce que fut son premier mois de service en campagne: marches, contre-marches, cantonnements divers, sans jamais entrer en contact avec l'ennemi (19).
Au petit matin du 6 octobre, sa compagnie se trouva rassemblée avec d'autres forces, venues d'un peu partout, à la Bourgonce. L'ensemble assez disparate, formait une brigade placée sous les ordres du général Dupré.
Cette brigade, premier élément de ce qui devait constituer l'armée de l'Est, ne possédait pas de cavalerie et une seule batterie d'artillerie sous les ordres du capitaine Delahaye, sa mission consistait à s'attaquer aux voies de communications de l'ennemi.
Quelque temps auparavant, la capitulation de Strasbourg le 28 septembre, avait permis aux Allemands la constitution, avec les troupes de siège, du XIVe Corps commandé par le général de Werder.
Sur l'ordre du Grand Etat-Major, il devait opérer dans l'est du pays, pour développer et renforcer les moyens ferroviaires de transport et s'opposer à tout rassemblement de forces fran-çaises dans les Vosges et départements limitrophes.
Ce 6 octobre donc, le général Dupré ordonna à sa brigade de faire mouvement en direction d'Etival, sans tenir suffisamment compte de la lassitude de ses hommes, et de la composition par de jeunes conscrits de certaines unités. Trois colonnes avaient été constituées, celle de gauche comprenait le 34e régiment formé par les gardes mobiles des Deux-Sèvres qui venaient de passer trois nuits en voyage et une pour venir se joindre aux autres forces à la Bourgonce, les francs-tireurs de Neuilly, ceux de Lamarche et deux pièces d'artillerie, marcheraient vers son objectif par La Salle et Saint-Rémy, celle de droite directement par Nompatelize, enfin, la troisième était placée en réserve et en soutien.
Seule la colonne de gauche nous intéresse, avec le lieutenant Tony.
Dans le même temps, une brigade allemande, commandée par le général Degenfeld, remontait en empruntant les deux rives, le couloir de la Meurthe en direction de Saint-Dié.
Le choc devenait inévitable. Il se produisit dans la région de Saint-Rémy. Pendant sept heures, nos troupes furent aux prises avec celles de l'ennemi, sans que l'on sut, à un certain moment, qui allait rester maître du terrain.
Aux francs-tireurs de Lamarche, sous les ordres de Tony, avait été confiée la défense d'un défilé entre Saint-Rémy et La Salle. Au cours de la bataille, un escadron de cavalerie badoise chargea furieusement pour enfoncer la ligne tenue par Tony et ses hommes, le sang-froid de celui-ci, la précision du tir de ses francs-tireurs, repoussèrent cet assaut en causant de lourdes pertes à l'ennemi.
Dans une lettre à son amie, datée du 14 octobre 1870,
Marie-Antoinette écrit:
« J'ai assisté à la bataille de La Bourgonce. J'ai
été mise à l'ordre du jour, pour être restée
quatre heures et demie au point le plus exposé, avec dix hommes
dont huit furent tués ou blessés » (20)
Le général Ambert, Grenest, de Belleval et la majeure partie des auteurs qui ont parlé de cette bataille, ont reconnu son courage et ne lui ont pas ménagé leurs éloges.
Lorsque, le 13 octobre, le général Cambriels ordonna l'abandon du département des Vosges, la compagnie des francs-tireurs de Lamarche fut fondue dans l'armée placée sous le commandement du général Garibaldi, qui s'était mis au service de la France. Fidèle à ses sentiments religieux, Tony refusa de se placer sous les ordres de celui qui, dans la guerre pour l'unité italienne, avait combattu les états pontificaux. Elle démissionna pour entrer au service des ambulances.
La guerre finie, elle reprit la direction du bureau de postes de Lamarche.
A partir de là, l'itinéraire de notre héroïne est plus difficile à suivre:
« Pendant une dizaine d'années, Mademoiselle Lix continue de demeurer à Lamarche où elle s'occupait de son ouvroir » (21).
« Le 27 novembre 1876, à 5 heures du soir, elle traversait la rue de Médicis, lorsqu'elle vit arriver à fond de train un cheval de maître, échappé de son écurie. Une vieille dame, qui marchait lentement et péniblement, se trouvait au milieu de la chaussée. Antoinette Lix jette son manchon, saute à la tête du cheval au moment où il passait près d’elle, et allait renverser la vieille dame, et parvient à l'arrêter » (22).
Elle avait demandé l'échange du bureau de postes de Lamarche, contre un débit de tabacs. De 1880 à 1907, elle fut titulaire de celui sis Cours Saint-Jean n°176 ou 178 à Bordeaux (23). En 1880, à partir du 10 novembre, elle est signalée comme partageant, avec une autre demoiselle, un appartement à "La Solitude", de l'institution des Sœurs de Notre-Dame-de-Sion, 71, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris, qu'elles quitteront le 22 juin 1886 (24). En août 1883, elle signa, à Lamarche, la dédicace ''Aux Alsaciens exilés" de son premier roman (25).
Elle entreprendra une courte carrière littéraire et produira
quatre romans:
- Tout pour la Patrie (1884),
- Les Neveux de la Chanoinesse (1886),
- Jeunes Brutions et Vieux Grognards (1889),
- A Paris et en Province (1889),
ouvrages à caractère patriotique, dans lesquels elle
exprimera son chagrin pour sa terre natale annexée, et un
vibrant patriotisme.
Elle obtint quelques récompenses, pas toujours hélas ! en rapport avec les sacrifices qu'elle avait consentis.
Officiellement:
"Aux termes d'un rapport approuvé par le Président de
la République et présenté par le ministre de l'lntérieur,
le 28 janvier 1872, sur les actes de courage et de dévouement accomplis
pendant la guerre, il est décerné des médailles d'or
et d'argent et des lettres de félicitations sont accordées
aux personnes dont les noms suivent: - Médaille d'or de première
classe: Mademoiselle Marie-Antoinette Lix, receveuse des postes à
Lamarche, 1870-1871. Après avoir servi avec le grade de lieutenant
dans la compagnie des francs-tireurs de Lamarche, et pris part au sanglant
combat de La Bourgonce, s'est consacrée avec un rare dévouement
au service des ambulances; a bravé maintes fois la mort pour aller
chercher des blessés dans les lignes allemandes "(26).
Officiellement encore, elle reçut la Croix de bronze des ambulances.
A titre privé:
« Le 5 mai 1872, la Société d'Encouragement au
Bien lui décerna une médaille de bronze. En 1888, le secrétaire
général de cette même Société, M. Honoré
Arnoul, lui remit une médaille d'honneur de première classe,
en récompense de son livre ''Tout pour la Patrie''avec cette citation:
(..) En 1870, elle s'était souvenue qu'étant institutrice
en Pologne, elle avait pris part à une grande bataille contre les
Russes, et qu'elle avait été faite lieutenant sur le champ
de bataille. Elle s'engage dans une compagnie de francs-tireurs et se bat
comme un lion à La Bourgonce-Nompatelize. A ujourd'hui ne
pouvant plus combattre, elle écrit un livre "Tout pour la
Patrie'' » (27) En 1873, le général de Charrette, qui
avait combattu à Loigny, le 2 décembre 1870, lui envoya la
médaille des Zouaves Pontificaux. Mais, certainement la plus belle
récompense qu'elle reçut fut l'épée d'honneur
offerte par les dames d'Alsace. Sa poignée en argent massif présente
l'Alsace se libérant de ses chaînes, sa lame porte, gravé
d'un côté "Les AIsaciens à leur vaillante compatriote
Melle Lix, en souvenir de la guerre de 1870-1871" et de 1'autre, sa devise:
"Pro Deo et Patria".
Meurtrie dans sa chair par les blessures et les maux récoltés au hasard de combats et de la vie des camps, touché dans son esprit par le chagrin et les peines endurées ou vécues, elle fut admise, le 7 avril 1898, à 1'hôpital hospice de Saint-Nicolas-de-Port, en placement volontaire, sous le régime de la loi du 30 juin 1838.
C'est dans cet établissement, au milieu de ses souvenirs, que,
le 14 janvier 1909, à quinze heures, la mort vint mettre un terme
à ses souffrances physiques et à son désarroi moral.
Depuis soixante-quinze ans, elle repose dans le cimetière de
la petite ville lorraine.
Sa sépulture, d'une grande simplicité, est constituée
d'une pierre tombale sur laquelle est scellée une petite croix,
également en pierre, avec, au-dessous, cette inscription gravée,
et déjà un peu mangée par le temps et les intempéries:
BIBLIOGRAPHIE:
Livres:
Louise Zeys: "Une Fille de la vraieAlsace - Marie-Antoinette
Lix''.
Paul et Henri de Trailles: ''Les Femmes de France pendant
le Guerre et les deux Sièges de Paris": chapitre XIV-"La Volontaire".
Maurice Bloch: "Femmes d'Alsace - Antoinette Lix''.
Camille Destouches: "Michel le Sombre ou le double visage
d 'Antoinette Lix".
Revues:
Revue Alsacienne, septembre 1884 - Julien Sée:
"Antoinette Lix - Lieutenant de Francs-Tireurs".
Revue des Deux-Mondes, 1er, juin 1906, "Une Héroïne
contemporaine".
Lorraine Magazine, n° 96, juin 1963, "Cette Lorraine
de vingt ans se battait pour la Pologne - On l'appelait Michel le Sombre".
Historama, n° 149, juillet 1964, L. Garros: "Une
Héroïne franco-polonaise - Antoinette Lix''.
Le Ruban Rouge, n° 33, juin 1964, Pierre Chanlaine:
''Marie-Antoinette Lix - Héroïne alsacienne et Lieutenant de
Uhlans polonais".
Diligence d'Alsace, n° 5, 1971, Louis Mathieu: "Le
destin héroïque de Marie-Antoinette Lix''.
Le Point Colmarien, n° 14, hiver 1974, Francis Lichtle:
"Antoinette Lix".
Ouvrages:
Sur la guerre de 1870-1871 dans lesquels on parle de
M.-A. Lix et des francs-tireurs de Lamarche.
Général Ambert: "Gaulois et Germains -
Récits militaires - La Loire et l'Est''.
Marquis de Belleval: "Souvenirs de guerre".
Lieutenant-Colonel Brute de Remur: "Les Vosges en 1870
et pendant la prochaine campagne''.
Capitaine Jean-Baptiste Dumas: "La guerre sur les communications
allemandes".
Grenest: ''L'Armée de l'Est - Relation anecdotique
de la guerre de 1870-1871''.
Commandant Rousset: "Histoire générale
de la guerre de 1870-1871 - Les armées de province".
A.-L. Wolowski: ''Le Colonel Bourras et le Corps Franc
des Vosges":
Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne,
31e année 1905-1906 - A. Pernot: "Armée de l'Est et XlVe
Corps allemand - Alsace, Vosges et Franche-Comté":
Sources diverses:
Musée de l'Armée.
Archives de France.
Archives Départementales des Vosges, du Nord,
de la Gironde.
Archives Municipales de Colmar, de Lille, de Bordeaux,
de Strasbourg.
Archevêché de Paris.
Institution de Notre-Dame-de-Sion, Paris.
Institution des Soeurs de la Divine Providence, Ribeauvillé.
Hôpital-Hospice Saint-François, Saint-Nicolas-de-Port.
Souvenir Français de Saint-Nicolas-de-Port.
Mairies de Lamarche, Dambach-la-Ville, Saint-Nicolas-de-Port,
etc...